mardi 1 avril 2008

L'honnête homme

Un de mes problèmes, qui rend ce blog d'autant plus nécessaire, est que je fréquente trop les sites exclusivement anglophones si bien que souvent, je trouve plus facilement un mot Anglais pour désigner une notion qu'un mot Français. Ainsi, le terme de "Renaissance man", décrivant une personne cultivée dans de nombreux domaines et excellant en plusieurs, dont Leonard de Vinci est l'archétype, se traduirait par "polymathe". Dans le cas de De Vinci l'expression "génie universel" peut convenir. Elle décrit bien les grands érudits de cette époque, rassemblant des savoirs de sources disparates et défrichant ce qui allait devenir la science d'aujourd'hui. Le terme de "génie" cependant a une connotation d'exception, ce qui va à l'encontre de la philosophie de l'époque.

La philosophie de l'époque était l'humanisme. Aujourd'hui cependant, on assimile "humaniste" à "humanitaire". Le caractère premier d'un humaniste semble devoir être la compassion. Il est vrai que les humanistes de la Renaissance s'opposaient à tout ce qui pouvait avilir et rabaisser l'être humain, idéal que l'on retrouve chez de nombreux humanitaires, mais cette notion restait périphérique et n'était qu'une conséquence de leur idée maîtresse : l'être humain est au centre de notre Univers, il nous faut par la connaissance nous améliorer, par le travail forger notre corps, par l'Art explorer notre sensibilité sous peine de ne vivre qu'une parcelle de ce que la vie a à offrir.

A une heure où les scientifiques sont dangereux, les artistes inutiles et paresseux et les sportifs vains; à une heure surtout où ces trois groupes sont vus comme des extrémités opposées, il peut être bon de se rappeler que certains ont en leur temps considéré comme un but suprême de réaliser l'alliage de ces trois métaux. Je me souviens avoir du étudier en classe de Français un texte de Rabelais où le géant Garguantua exhortait son fils à se gaver de toutes les connaissances du monde; de la géographie à la médecine en passant par la botanique et la zoologie. L'honnête homme se doit de tout savoir.

L'honnête homme : L'homme droit aux idées claires, l'image que l'on aimerait garder de l'humanité, l'ambassadeur que l'on enverrait nous représenter dans les étoiles ou sur l'Olympe. Il se doit de connaître de toutes les sciences et de toutes les cultures. Il doit savoir jouer d'un instrument de musique et nager le crawl, savoir dessiner et démontrer un théorème, aligner des alexandrins et piloter un navire, situer le Laos et Andromède.

Notre culture tend à nous faire admettre une contre-vérité : exceller en un domaine serait le travail de toute une vie, essayer d'exceller en plusieurs mènerait inévitablement à la médiocrité dans chacun. Cette illusion est à placer à coté d'une autre, plus sournoise : en travaillant toute votre vie dans un domaine, vous êtes censé devenir au final le meilleur de votre domaine. Cet état d'esprit, volontiers conforté par le système universitaire, occulte la synergie qu'une profonde culture générale peut apporter. Que vaudraient les codex médicaux de De Vinci sans son adresse au dessin ? Cyrano Savinien n'a pu se permettre des écrits iconoclastes que grâce à son adresse à l'épée qui ne lui faisait, dit-on, redouter aucun ennemi. Sans chercher de tels exemples, il est facile de trouver aujourd'hui d'excellents spécialistes scientifiques qu'une touche d'expression littéraire ou artistique rendraient infiniment plus intelligibles. De la même façon, il y a aux plus hauts niveaux de la société des gens éhonteusement dépourvu du moindre verni d'une culture scientifique pourtant connue pour apporter de précieux conseils.

L'honnête homme ne connaît pas de limite à ses domaines d'intérêt. Même s'il ne se consacre qu'à la culture d'un petit jardin, il ne laisse aucune parcelle de son domaine en proie aux broussailles et arpente toutes ses sentes avec un plaisir égal. Il revendique tous les domaines de la connaissance humaine que son esprit peut embrasser. L'honnête homme n'est ni artiste, ni scientifique, ni homme politique, il est citoyen de la pensée humaine et son étude est partout.

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